Quatrième et dernière semaine du voyage en Chine
Mercredi 5 août
Ile de Chongming, dans le delta du Yang Tsé.
L’ile est à une petite heure en vedette rapide du port de Shanghai. Elle est enserrée dans un bras du vaste delta du Yang Tsé. Elle abrite deux parcs nationaux assez réputés. J’ai choisi celui établi sur une forêt. L’autre est un « wet land », disons un marécage, où prospèrent de nombreuses espèces d’oiseaux.
J’ai choisi la forêt et un hôtel très calme pour prendre trois jours de repos avant d’attaquer la deuxième partie de ce grand périple.
Tout autour du parc, des « resorts », enclos très bien entretenus abritant des hôtels plutôt luxueux pour touristes chinois fortunés ( tennis, golfs, parfois piscines )… Le mien est dans la fourchette basse, 188 yuans la nuit, une misère, 28 euros …
Seul problème, il est complètement isolé. Pas de supermarché pour acheter quelques biscuits et surtout le vin qui accompagne mes repas, soigneusement dissimulé dans une anodine bouteille thermos ; pour prendre ses repas pas d’autre choix que celui de l’hôtel.
Il faut donc chercher le salut et la nourriture dans un lointain village. Un bus passe de temps à autre sur la route poussiéreuse qui longe la forêt … Un peu inquiétant comme celui de North by Norhtwest (La mort aux trousses) d’Hitchcock … En fait le danger vient des énormes camions qui foncent comme des fusées sur cette route étroite.
Donc en route pour le village. Attente qui paraît interminable sous l’abribus chaud comme une plaque à gaufres … Ning Xin, avisée, prend une photo des horaires. Mauvaise surprise, le dernier est à 19H30. Comme il est déjà six heures, nous aurons très peu de temps pour dîner avant de prendre la dernière navette.
Village rural, assez récent avec ses maisons sans style mais apparemment confortables. Une unique grand-rue … deux supermarchés (achat du vin), un restaurant très modeste juste à côté. Parcouru les deux tiers de la rue principale à la recherche d’un autre choix. Que nenni, point ! Retour au premier et unique de son espèce. Salle petite, bruyante, enfumée, occupée par le patron et sa famille. Ning Xin commande rapidement trois plats sur le vaste panneau lumineux accroché au mur. Nous avons juste quarante minutes pour dîner sinon, la désagréable perspective de rentrer à pied à l’hôtel en pleine nuit.
Divine surprise, les plats sont délicieux et copieux : riz à volonté, large assiette de crevettes sautées à l’ail, soupe de poissons, petits poulpes frits, le tout pour … 88 Yuans, 12 Euros ! On a eu notre bus pour rentrer et le lendemain, on est retourné au même endroit tellement on avait apprécié cette table (au moins deux baguettes dans le guide du Routard). Seul regret, il n’y avait plus de poulpes …
Ah ! Avant d’éteindre (il est vingt et une heures, je me couche tôt et je fais de bonnes nuits, entre neuf et dix heures), je vais vous raconter le rêve que j’ai fait la nuit dernière et dont je me souviens encore, ce qui est rare …
Je dinais en compagnie de la Reine d’Angleterre. Nous étions toute une tablée et elle était juste en face de moi, très jeune, très enjouée. Elle avait des yeux étrangement clairs, jaune paille. Elle semblait apprécier ma conversation. Malheureusement, par un geste maladroit, je renversais de l’eau sur sa belle robe blanche. Le charme était rompu …
Dîner avec la Reine d’Angleterre au cours d’un voyage en Chine, ce n’est pas banal, non ?
Jeudi 6 août
Toujours de très fortes chaleurs. Cette nuit, je suis sorti de ma chambre vers cinq heures trente pour aller faire un tour en sandales et en pyjama dans les environs de l’hôtel. La température était encore élevée mais la rosée avait imprégné une large étendue de gazon. C’était une très belle pelouse, bien taillée, bien unie. J’en ai profité pour marcher pieds nus sur ce délicieux tapis et gouter ce rare sentiment de fraîcheur en cette saison…
Hier après midi nous nous sommes présentés à l’entrée du parc forestier pour le visiter. Ning Xin n’était pas trop tentée d’autant que le ticket d’entrée lui paraissait exorbitant : 70 Yuans. Comme c’était gratuit pour moi, je partis seul à sa découverte.
Très larges allées toutes ombragées par des arbres que je n’ai pas pu identifier. Des sortes de pins aux troncs parfaitement droits, à l’écorce ligneuse, quasiment tous de la même taille. Le portail passé on est accueilli par des dizaines de mainates enfermés dans de petites cages suspendues aux branches des arbres. Chacun avait son vocabulaire et s’en donnait à cœur joie pour surprendre les visiteurs. J’ai surtout reconnu le classique « Ni Hao », bonjour.
Par moment des bouffées d’exquises odeurs sortent des fourrés. Plusieurs lacs et rivières retiennent une multitude d’oiseaux dont des vols entiers d’ibis d’un blanc immaculé. C’est un vrai un enchantement et j’y reviendrai demain avec NingXin. Mais au bout de trois heures de déambulation je commençais à trop souffrir de la chaleur. J’étais en nage. Je rentrais à l’hôtel.
* * *
Aujourd’hui nous y sommes donc retournés ensemble.
Hier, dans une très discrète allée serpentant au milieu des massifs, j’avais remarqué des panneaux présentant des photographies anciennes, en noir et blanc. Comme toutes les légendes étaient écrites en chinois, je ne pus en déchiffrer le sens.
C’est Ningxin qui me traduisit … Et aussitôt la nature du parc prit une toute autre coloration.
Les panneaux de cette allée racontaient l’histoire des dizaines de milliers d’étudiants et d’intellectuels de Shanghai qui avaient été envoyés dans cette île durant la Révolution Culturelle pour être « ré-éduqués » !
Suite aux mots d’ordres déments du Grand Timonier, uniquement pour reprendre le pouvoir, des centaines de milliers de « jeunes instruits », comme les qualifiait la propagande des Gardes Rouges, furent envoyés dans les usines et dans les champs pour rectifier leur vision « petite-bourgeoise » de la vie et apprendre des masses …
Dans la grande majorité des cas, les paysans ne surent que faire de ces rigolos qui ne savaient même pas distinguer une carotte d’un radis ou une truie d’un verrat !
Mais sur cette île limoneuse et plate, une main d’œuvre nombreuse et asservie était plus facile à utiliser. Il s’agissait de creuser des fossés d’irrigation, de planter des arbres ou d’empierrer des routes …
Les beaux arbres qui m’entourent n’ont pas plus de cinquante ans … Faites le compte : 2015 moins 50 ans = ~1965 … La Grande Révolution Culturelle Prolétarienne (GRCP) a été lancée par Mao en mai 1966.
Toutes ces superbes plantations sont donc l’œuvre de ces malheureux, traités comme des moins que rien, qui ont ainsi perdu plusieurs années de leur jeunesse.
Les clichés un peu jaunis qui illustrent les panneaux sont uniquement des photos de propagande de l’époque qui montrent des visages irradiants de foi révolutionnaire envers leur bien-aimé Président Mao !
J’ai indiqué plus haut que ce sentier était plutôt à l’écart des principaux circuits du parc. Il conduit aussi vers un discret monument en marbre blanc, un peu perdu dans les fourrés. Ning Xin traduit la dédicace : « Nous ne regrettons pas notre jeunesse » … Sans commentaire.
Vendredi 7 août
Chong ming. 11 heures du matin.
On the road again ! Il s’agit de quitter l’île pour rejoindre l’hôtel que j’ai choisi dans la banlieue sud-ouest de Shanghai, assez proche de l’aéroport de Hongquiao d’où je décollerai lundi matin pour Tokyo.
On marche cinq cents mètres avec tout notre barda pour atteindre l’arrêt du bus qui nous conduira au débarcadère. Une demi-heure d’attente … Je peste. On aurait pu mieux anticiper le passage du bus ou prendre un taxi ! Enfin il arrive, toujours à fond la caisse, toujours pressé, la receveuse placée près de la porte arrière, comme dans l’ancien temps en France, agite son petit drapeau rouge par la fenêtre. Le conducteur est tellement pressé de repartir qu’il ferme la porte avant que je sois complétement rentré et coince mon sac à dos !
Vous avez dit « l’ancien temps » ? Oui, c’est bien çà. Le bus est bondé. Je n’avais pas prêté beaucoup d’attention à une paysanne qui était montée avec ses tiges de canne à sucre et un ballot blanc qu’elle poussa vigoureusement pour le caler contre un siège.
J’étais assis à l’avant pour mieux voir la route et prendre quelques clichés au cas ou … Maintenant la paysanne papotait très fort avec sa voisine, sur les sièges juste en face du mien, son gros paquet blanc à ses pieds. Et c’est avec surprise que je vis sortir le long cou blanc et le bec bien jaune d’une superbe cane qui semblait fort incommodée de ses conditions de transport ! Elle allait vendre sa cane et ses tiges de canne (wahoo, les subtilités du français) à Shanghai.
Je la retrouvais donc sur la vedette qui larguait les amarres et sur laquelle nous embarquâmes à toute vitesse (course éperdue sur les quais). Une petite heure de traversée et débarquement dans la banlieue nord-est de Shanghai, environnée de hautes cheminées d’usines (chimie et sidérurgie).
Il s’agit donc maintenant de traverser en diagonale la mégapole shanghaïenne !
D’abord un taxi pour rejoindre la ligne Trois puis vingt stations pour la correspondance avec la ligne Neuf ! … La chaleur reste étouffante et la climatisation des rames n’est qu’un pis-aller car on passe brutalement de 35° à 25-27°). Quand on y pénètre, en nage, c’est un peu comme si on entrait dans une chambre froide.
Au cours du transfert vers la ligne Neuf (interminable, as usual), j’aperçois rapidement sur un écran qui diffuse des informations en continu : « MH 370 » ! L’auraient-ils retrouvé ? Non, juste des débris mais après plus d’un an et demi de silence radio complet, c’est le premier élément tangible qui en apportera forcément d’autres. Je me fais l’effet de Louis XVI qui, montant à l’échafaud, demandait si l’on avait des nouvelles de Monsieur de La Pérouse …
Enfin, on prend la ligne Neuf. Encore quelques stations … Onze seulement, mais de plus en plus espacées … Ces banlieues sont sinistres ! D’interminables barres d’immeubles, toutes sur le même modèle. Ici, c’est la brique qui domine. (En fait, j‘avais eu la même impression de monotonie en avril en traversant les banlieues d’Osaka pour rejoindre l’aéroport).
Enfin, après quatre heures de trajet on arrive à l’hôtel. Correct en apparence, belles chambres, mais très mauvaise surprise, elles donnent sur un mur aveugle ! Ning Xin s’en contenterai mais moi, je refuse, d’où négociations avec la réception pour en obtenir d’autres. La mienne donne dorénavant sur une rue piétonne que je vois en enfilade et qui finit sous mes fenêtres. Rarement vu ça …
Harassés par les transports et la chaleur, on ressort rapidement pour aller manger un morceau, toujours le même genre d’établissement, plutôt familial, entre le fast-food et le restaurant traditionnel avec mobilier élégant et nappes en tissus. Je choisis presque toujours les mêmes plats : langoustines, canard, soupe, pommes de terre, riz …
Couché à neuf heures …
Samedi 8 août
Shanghai Songjiang.
Très mauvaise nuit. L’hôtel est mal insonorisé et, vers une heure et demi du matin, j’ai été tiré de mon sommeil par des conversations bruyantes qui provenaient d’une chambre voisine, probablement à l’étage au-dessus. Et ça rigolait, et ça parlait fort, et ça faisait tomber des objets lourds sur le parquet ! Ça m’a tenu éveillé plus de deux heures ! Comme il semblait, d’après les voix, que la chambre était occupée par un homme et deux femmes, j’attendais qu’ils passent à l’acte et qu’enfin le tintamarre cesse ! Mais rien ne vint et je finis par me rendormir.
Le lendemain matin, au petit déjeuner, je demandais à Ning Xin si elle avait été importunée par le bruit. Pour elle, ce fut pire car elle ne put s’endormir rapidement comme moi et bénéficier de plusieurs heures de bon sommeil. A plusieurs reprises elle appela la réception pour se plaindre mais rien n’y fit. Les occupants de la chambre continuaient comme si de rien n’était !
C’est le lendemain, en se plaignant aux employés du desk que l’on eut le fin mot de l’histoire. Ces occupants si bruyants, si sans-gêne, étaient des amis du patron de l’hôtel ! On compris alors mieux le peu d’empressement pour leur demander de se calmer …
Dimanche 9 août
Ça y est ! C’est arrivé brutalement, comme une grippe ! J’en ai ras la casquette de la Chine ! Marre de ses manières frustes, marre de son laisser aller, marre de l’anarchie de ses conducteurs !
Je suis désormais avide du Japon !
Quand même quelques mots d’explication.
Nous sommes allés visiter le campus de l’Université où Ning Xin a fait ses études. Elle tenait beaucoup à revoir ces lieux où elle a passé plusieurs années.
Bien sûr, à cette époque de l’année les étudiants sont en vacance. Nous avons donc déambulés au milieu d’amphis vides et de résidences universitaires désertes.
Les lieux sont plutôt accueillants mais la déglingue est partout !
C’est ce laisser-aller qui a fini par me conduire à ce ras-le-bol et à ce brutal rejet.
On se plaint de l’état de vétusté de la plupart des Facs françaises mais les chinoises n’ont rien à leur envier.
D’accord, on les construit immenses mais ensuite, entretien minimum … D’où cette déglingue, ce délabrement des bâtiments que l’on voir partout sauf peut-être dans les résidences de luxe où les habitants ont les moyens de payer les réparations.
Parfois, les façades font illusion, mais il suffit de passer dans les arrière-cours pour voir, non pas la misère, mais la saleté due à ce laisser-aller, souvent l’entassement des ordures ou des gravats, du matériel hors d’usage abandonné sur place.
Au milieu du campus, un vaste commissariat de police.
Façades en faïences blanches immaculées et pelouses impeccables ; pas un papier par terre, tous les véhicules sont aligné au cordeau … La Chine est un pays où l’anarchie, comme les mauvaises herbes, ne demande qu’à se développer.
Bref, vivement le Japon, sa propreté méticuleuse et sa culture ZEN …
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