1er Juillet 2018
Arrêt matinal sur un banc de sable.
Hier soir, en rédigeant le récit de la journée, j’ai omis de noter le chemin parcouru : un peu plus de vingt six kilomètres à… 3,1 km/h de moyenne ! Soit plus de huit heures de dérive sur un fleuve surchauffé ! Personnes pressées s’abstenir. Après cette lenteur d’attelage de bœufs, à 80 km/h sur une route secondaire, je prends peur …
Une application sur IPhone (Gaïa), mêlant GPS et cartographie IGN, enregistre le tracé, la vitesse instantanée et moyenne et le dénivelé. En mémorisant ces paramètres elle fait office de livre de bord.
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Je terminais le billet en écrivant : « Il me reste à préparer ma collation du soir : œufs sur le plat, pain Poilâne, pâté de canard en boite, pruneaux et … quelques bonnes rasades d’Entre-Deux-Mers ! ». C’était un programme raisonnable pour un organisme épuisé devant reprendre des forces.
Le bateau ancré, les ingrédients nécessaires au festin avaient été sortis des containers et disposés autour de moi : la poêle, l’huile d’olive et trois œufs que j’avais fermement l’intention de manger sur le plat !
Assis vers l’avant, j’installe le réchaud sur l’un des containers. Il s’allume d’un clic et je mets de l’huile d’olive à chauffer dans une petite poêle ! Dans cet espace réduit et instable il faut être précautionneux dans ses gestes et éviter les mouvements brusques. J’ai l’habitude …
Deux œufs cuisent déjà quand, en cassant le troisième au dessus de la poêle, celle-ci glisse brusquement et son contenu tombe sur mon pied gauche, heureusement sans trop me brûler. Quel dépit, le plat qui me faisait saliver est répandu sur le plancher ! Affamé, j’essayais d’en récupérer quelques bribes avec une cuillère. Peine perdue ! N’ayant pas le courage d’en cuisiner d’autres, je me contentais de fruits secs, de pâté en boite et, pour me consoler, de plusieurs petits verres d’Entre-deux-Mers …
En dépit de cet incident, la nuit fut bonne.
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Voici maintenant le récit de la seconde journée de navigation …
Après un réveil matinal et préparé mon bol quotidien d’Ovomaltine, je partis sans tarder.
Le coin cuisine à l’avant du bateau.
Les heures de navigation matinales sont agréables. L’air est frais, les couleurs franches. Peu à peu la chaleur s’installe et le paysage se trouble.
La Loire, haute après les fortes pluies de juin, coule entre deux berges sans attrait. La navigation devient monotone. Car ce qui fait le charme de ce fleuve sauvage, en basses eaux, ce sont ses multiples filets d’eau serpentant autour d’îles sablonneuses.
Enfin, il en restait quelques unes sur lesquelles je fis plusieurs arrêts.
Orléans était attendue avec intérêt car, sur les mille kilomètres du fleuve, c’était la seule petite portion jamais parcourue. Cinq ponts relient les deux rives dont l’ancien Pont Royal, un pont en pierres.
A l’heure du déjeuner, les quais défilent rapidement devant l’étrave du bateau. Ils sont accueillants, offrant de nombreuses terrasses de restaurants mais aucun désir de m’amarrer pour en profiter …
Passé devant l’Inexplosible, réplique d’un bateau à aubes en service sur la Loire au XIXe siècle, avant l’arrivée des chemins de fer. C’est un restaurant prisé des Orléanais.
Gros bouillons sous le pont de pierre mais ça passe sans encombre. Une fois de plus, je n’ai pas réussi à activer à temps la GoPro fixée à l’avant, dans l’axe du bateau, pour capturer ce moment fugitif.
Cette caméra, coqueluche des sportifs avides de filmer leurs exploits, fournit, quelles que soient les conditions, de bonnes images, fixes ou animées, mais s’avère d’une mise en œuvre compliquée.
De la taille d’un petit pavé au chocolat, ses boutons de commandes sont si petits, que je préfère l’actionner à distance depuis une application sur IPhone. Elle était déjà installée sur le portique avant durant les deux précédentes descentes mais je n’avais jamais réussi à la mettre en œuvre rapidement.
Ramant depuis l’arrière et ne pouvant lâcher les rames dans les moments délicats, le passage d’un pont avec un gros débit par exemple, je dois la déclencher quelques dizaines de mètres avant l’obstacle pour obtenir une capture vidéo.
Dans la précipitation, j’ai utilisé la vidéo de l’IPhone mais … dans le mauvais sens ! Au lieu de filmer le rapide qui se forme entre les piles, je pris ma bobine ! Piètre cameraman …
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Vers 14 heures, ancrage à l’ombre des arbres de la rive gauche pour une sieste. Sur ce fleuve écrasé par le soleil du mois de juin, selon l’orientation de son lit et l’heure de la journée, il est possible de trouver de l’ombre en se rapprochant d’une rive. Dans cette portion, comme je l’ai indiqué plus haut, les rives sont franches et bordées de hauts arbres à même de procurer une ombre rafraichissante si l’on se positionne au plus près d’une berge.
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Navigation en pleine eau en aval d’Orléans.
Meung-sur-Loire est en vue. Ma première descente en kayak, en juillet 1953, me revient en mémoire… Soixante-cinq ans après, je recoupe la trace de cette première aventure initiatrice … J’avais seize ans et demi et déjà j’étais seul sur la Loire …
Je gardais bien le souvenir d’un pont sans difficulté particulière mais je fus surpris, avant de l’atteindre, de voir se dessiner plusieurs piliers ruinés d’un ancien pont en pierre. De loin, le bruit si caractéristique du bouillonnement de l’eau, me prévenait de l’intensité des rapides qui s’y formaient.
Le délicat passage du pont de pierre détruit en amont de Meung-sur-Loire
Un peu mieux formé au maniement de la GoPro, le dispositif fut opérationnel pour filmer ce passage un peu chahuté. Il en sera de même, en fin d’après-midi pour celui du pont de Beaugency.
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Je savais l’obstacle plus coriace et ne fut pas déçu. Ce pont étale une multitude d’arches et de loin je ne savais laquelle choisir. Comme le bateau est peu manœuvrant, c’est le courant qui décide en grande partie de ma trajectoire et je me suis retrouvé rapidement à devoir choisir entre les trois ou quatre arches qui se présentaient. En fait les piles, protégées par des batardeaux en acier, étaient très étroites et le courant très fort.
A la dernière minute j’en repérais une dont le passage paraissait franc et lançais le bateau dans sa direction. Tout va alors très vite. Le courant s’accélère jusqu’à atteindre dix km/h et alors, ça passe ou ça casse ! Ça passa et le navigation se poursuivit, plus calme, presque jusqu’au coucher du soleil.
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Les ombres s’allongeaient. En longeant la rive droite la haute barrière des arbres faisaient écran contre les rayons encore assassin du soleil. Au risque de heurter des basses branches, je laissais le bateau dériver au plus près des berges. Sensation délicieuse de voler au ras de l’eau dans un silence absolu.
Moments magiques …
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La centrale nucléaire de Saint Laurent s’approchait et son barrage de retenue imposait un portage, c’est à dire le transfert du bateau et de son équipement de l’amont vers l’aval. Pas question de le sauter, comme en 2010, celui de la centrale de Belleville !
Il avait donc été décidé, avec mon épouse, qu’elle me rejoindrait le lendemain, un peu en amont de cette difficulté pour m’aider au portage. Occasion aussi de m’approvisionner en vivres fraîches et en eau.
Vers vingt heures, j’ancrais le bateau à quelques kilomètres de la centrale dont la vapeur s’échappant des tours de refroidissement se détachait sur le ciel.
Le coin était paisible, un radier à l’entrée d’un petit bras secondaire de la Loire, une sorte de rivière aux bords ombragés.
Il avait fait si chaud que je profitais de m’être mis à l’eau pour vérifier la tenue du grappin pour prendre un bain … Hélas, en cette saison, l’eau chargée de limon est peu engageante …
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Dînette, installé à l’avant du bateau mais sans utiliser la poêle à frire !
Alarmiste, la météo annonçait une tempête pour la nuit. N’y croyant qu’à moitié, je repliais quand même la toile de tente sur l’arrière et la fixais solidement par des sandows.
Après avoir rangé les équipements, j’effectuais une manœuvre particulière consistant à arrimer le bateau par l’arrière et non par l’avant afin d’offrir une moindre prise au vent.
J’avais prévu ensuite d’aller détacher la GoPro pour récupérer sa carte mémoire et changer sa batterie.
Le déplacement sur cet espace étroit, sans appuis fermes m’est de plus en plus difficile. Manquant de souplesse, je me fais l’effet d’un Culbuto ballotté d’un boudin à l’autre avec parfois une chute dans l’eau à la clé …
A quatre pattes sur les containers, dans une posture acrobatique, au moment où je saisi la GoPro, elle m’échappe des mains et tombe à l’eau ! Fureur, dépit ! Quoi, tant d’efforts pour rapporter des images anéantis ! Quelle guigne !
Je sors du bateau et, pieds nus, je tâte le fond de la gravière à l’aveugle pour détecter une éventuelle forme distincte d’un gros caillou. Mais rien ! Comme le bateau est ancré dans le courant il se peut que la caméra ait été emportée sur plusieurs mètres.
Très déçu, je remonte à bord mais après quelques minutes de réflexion, je décide d’aller la rechercher en plongée … Et là, dans l’eau trouble, très rapidement, je la vois posée sur le fond à quelques mètres du bateau et la remonte illico à bord.
Que la caméra soit fichue, cela me chagrinait mais je récupérais au moins la carte mémoire conservant les deux séquences prises au cours de la journée !
Une GoPro est étanche à condition de l’enfermer dans une boîtier spécial or ce n’étais pas le cas. Afin d’éviter des dommages plus graves, je retirais la batterie, la carte mémoire et secouais bien fort le boîtier pour en extraire le maximum d’eau .
Une demi-heure après, par acquis de conscience, je rebranchais la batterie et la remettais en route. Miracle, elle fonctionnait ! Etonnant équipement !
Après un dernier appel à mon épouse pour confirmer le rendez-vous du lendemain, je m’installais pour la nuit. Bercé par le bruissement de l’eau et le croassement des grenouilles, je m’endormis bien vite.
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Comme prévu, vers minuit, la tempête arriva. Une tempête sèche. Le ciel était illuminé d’éclairs de chaleur dont la caractéristique est de ne pas être accompagnés de coups de tonnerre.
Quand le vent se déchaîna, c’était bien une tempête. Plus question de dormir. La structure vibrait sous les rafales. Allongé dans mon duvet, je tenais fermement les deux montants du portique arrière pour éviter que la toile ne s’envole. Plutôt angoissant. Bien que la tente ne fût pas entièrement déployée, le bateau offrait une forte prise au vent. Le grappin se mit à chasser, rapprochant dangereusement le bateau des branchages de la rive. Mais difficile en pleine nuit d’apprécier vraiment la situation …
L’épisode dura jusqu’à deux heures du matin puis le vent tomba brusquement. Le bateau s’était déplacé d’une cinquantaine de mètres, pénétrant providentiellement dans le bras secondaire, à égale distance des deux rives. A l’évidence il s’était stabilisé en plein courant. Rassuré, je me rendormis.
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Merci pour ces magnifiques récits.
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J’aime beaucoup votre blog. Un plaisir de venir flâner sur vos pages. Une belle découverte. blog très intéressant. Je reviendrai m’y poser. N’hésitez pas à visiter mon univers. Au plaisir
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